Pokemon Go et Chamanisme « Les esprits de la nature sont partout autour de nous ! »

Pokemon Go et Chamanisme
« Les esprits de la nature sont partout autour de nous ! »

Ils sont là !

Ils sont partout autour de nous ; Pikachu, Bulbizarre, Germignon, Tortipouss, etc… les Pokemons sont partout autour de nous, et même si vous ne les voyez pas, nul doute que vous en avez entendu parler.

Ils sont là !

Ils sont partout autour de nous ; enfants bien sûr, adolescents évidement, adulescents (créature hybride mi-ado mi-adulte qui a du mal devenir adulte), même les adultes qui s’y mettent… par dizaines de millions… alors, tous chasseurs de Pokemons ?

Difficile d’échapper au buzz planétaire organisé, autour de ce jeu, par de grandes sociétés commerciales ; Niantic (filiale de Google) et Nintendo (holding japonaise de jeux vidéo). Toutes les sociétés essayent de faire ce que réussi aujourd’hui « Pokemon Go », à savoir ; une mode surpuissante qui, telle un tsunami, emporte tout sur son passage. Certains y réussissent, d’autres pas !

Qu’est ce qui fait alors un tel succès ?

Pour commencer à répondre à cette question, je vous propose d’abord de faire le rapprochement avec un autre univers qui peut avoir un lien à l’enfance (mais pas uniquement !), au loisir (mais pas uniquement!) et au chamanisme : à savoir, l’univers des contes, des légendes et des mythes :

Certains contes passent à travers les siècles et les cultures alors que d’autres histoires sont aussitôt oubliées une fois racontées… Qu’est ce qui fait la différence ?

On sait l’importance pour les peuples premiers de ces trésors de l’humanité que sont les mythes, contes et légendes. Ils sont partagés par exemple lors des veillées (ancêtres de nos médias) et jouent alors un rôle essentiel dans la transmission des représentations et appréhensions du monde, des codes moraux et des valeurs inhérentes à chaque culture.

Vladimir Propp dans « Morphologie du conte » a montré que tous les contes du monde sont plus ou moins découpés selon un schéma de de 31 séquences. Joseph Campbell affirme quelques années plus tard que tous les mythes suivent les mêmes schémas archétypaux (dont la structure à été reprise depuis avec le succès que l’on sait par Star Wars, Matrix, et Le Seigneur des anneaux !)

Pour le dire autrement et simplement, si un conte, une légende ou un mythe se transmet de génération en génération, c’est qu’il va toucher les archétypes profond de l’humanité !

En gros, l’être humain a des besoins, des manques (besoin de sécurité, de reconnaissance, d’affirmation de son identité, de se libérer de ses angoisses, …) qui l’oblige à se lancer dans des quêtes de l’ordre de l’Être, et l’oblige à aller chercher les réponses au plus profond des sources primaire de satisfaction (la nature, la spiritualité, la qualité des relations humaines, l’amour, etc …)

Notre société de consommation qui a bien compris cela, sait qu’il suffit de titiller ces besoins, (dont les cartes sont connues) et qu’il suffit alors de détourner la quête vers des réponses de l’ordre de l’Avoir, pour nous vendre ainsi des érsatzs nécessairement insuffisants, donc frustrants. Nous plongeant ainsi dans un consumériste addictif.

Ne soyons pas naïf, les meilleurs jeux vidéo ne sont plus simplement crées par des informaticiens et des graphistes, ils le sont aussi conçu par des spécialistes du cerveau humain, de la psychologie profonde et de la sociologie.

Si on se penche maintenant sur le phénomène Pokemons, force est de constater que c’est la 4ème fois qu’on nous fait le coup, et cela avec toujours plus d’efficacité ! (quand l’imaginaire de l’artiste est aidée par la technologie et est dirigée par l’intelligence des experts en marketing, et en neurosciences ,voilà ce qui arrive).

  • La série de dessins animés « Pokemon » avait déjà eu un immense succès auprès des enfants (il y a 20 ans)
  • A la suite de quoi, les cours des écoles ont été envahies par le merchandising des produits dérivés à savoir les « cartes pokemons » (vendues très cher pour quelques grammes de papiers imprimés, et dont les enfants réclamaient toujours plus de cartes car il manquait toujours des cartes rares …)
  • Puis la technologie entre en scène, et c’est le jeux sur Gameboy (console de jeu portable) qui a fait les beaux jours de la société Nintendo
  • Enfin la 4ème vague, aujourd’hui, plus grande que tout, « Pokémon Go » combine smartphone, géolocalisation et réalité augmenté pour un phénomène de société sans précédent.

Pokemon-chamanisme-ratata en villeA ce stade, rappelons quelques principe de base du jeu « Pokémon Go » :

« Armé » de ton smartphone, vas, tout autour de toi, de par le monde (en mode GPS), explorer et découvrir les pokemons qui sont cachés (et invisibles à ceux qui n’ont pas la technologie) pour les attraper.
Quand tu as attrapé assez de pokemons, tu peux rejoindre une guilde pour coopérer avec les autres membres de ta guilde pour étendre votre territoire.

Voila pour résumé en quelques lignes le principe du jeu.

On y retrouve d’abord réveillé et sublimé quelques instincts primaires qui sont par ailleurs policés ou canalisés dans notre société :

– l’instinct d’appartenance et l’instinct grégaire puisque nous rejoignons une guilde pour œuvrer ensemble à un même but sous un même étendard (élargir notre territoire)

– l’instinct de compétition belliqueux (pour ne pas dire guerrier) … puisqu’il y a l’autre, l’étranger…à savoir « ceux des autres guildes » (les méchants ?) à vaincre.

Rien de nouveau dans tout cela, le grand barnum du sport show-business passe sont temps a exciter ainsi les masses, en titillant ces instincts, qui peuvent faire passer du supporter, au chauvinisme, du patriotisme au nationalisme plus ou moins agressif !

Et pour nous qui sommes engagés sur la voie du chamanisme, nous ne manquerons pas de voir aussi autre chose dans le jeu « pokemon go » :

  • Il réveille et sublime l’instinct archaïque du chasseur-cueilleur qui est enfouis en nous. Il nous propose de traquer, chasser, pourchasser, attraper, ces petits « animaux » que sont les Pokemeons (et certains sont à mi chemin de la plante et de l’animal)
  • Le jeu Pokemon Go nous dit haut et fort que les esprits de la nature sont partout autour de nous et qu’il faut changer notre regard pour les voir !
    Sans le smartphone en l’occurrence, on ne peut pas les voir. Par contre, si on s’y prend correctement (avec le smartphone pour le cas) en mode photo, nous voyons le monde qui nous entoure, et dans le monde qui nous entoure est ajouté, en surimpression, un pokemon qui paraît tout vivant, là devant nous et qui semble nous attendre.C’est pour ainsi dire, le dévoilement du « monde du milieu », cher au chamanisme que reprend le jeu des pokemons. Ainsi, de nombreuses représentations chamaniques dans le monde vont surajouter à notre monde matériel, 3 mondes « invisibles » pour le profane : un « monde du bas » peuplé de forces et d’alliés. Un monde du milieu, le double énergique et éthéré de notre monde physique. Un « monde du haut » peuplé de maîtres et de haute spiritualité.

Par ce jeu et par la juxtaposition de la vision de notre monde matériel et des Pokemons sur-ajoutés sur la même image, c’est un peu comme si la surnature ou le petit peuple (elfes, gnomes et fées) se présentait a nous et que l’on pouvait le voir de nos yeux dans notre environnement immédiat !
(sans passer par la longue initiation de l’apprenti chaman !)

Ce n’est pas un hasard non plus si ce jeu vient de la culture Japonaise. En effet, au Japon l’animisme est encore très présent dans l’inconscient collectif et imprègne encore toute la culture.

Le formidable réalisateur de films d’animation japonais, Hayao Miyazaki, avait déjà rappelé à l’occident de 1000 façons que les esprits de la nature étaient toujours autour de nous (voir dans « Princesse Mononoké ou « le Voyage de Chihiro »).

Force est de constater que lorsqu’ on joue quelques heures à Pokémon Go, que l’on regarde notre environnement autrement ensuite. Qu’on y guette des présences plus ou moins visible. Que l’on n’est plus surpris de croire sentir une présence et que l’apparition d’un trolls ne nous ferait même plus sursauter !

Les constructeurs du jeu ont été jusqu’à adapter les Pokemons avec les lieux où on les trouve, ce qui n’est pas sans nous rappeler l’esprit des lieux . Ainsi ce sont des pokemons différents dans les villes, ou les parcs et les forêts. Et l’on trouve certains Pokemons « d’eau » par exemple, uniquement aux abords des lacs ou des rivières.

Ensuite, nous sommes invités à rejoindre (=promotion ? reconnaissance par nos frères, nos paires, nos pères ? initiés ? ) à rejoindre une des 3 guildes qui se partagent le monde.

En anglais nous aurons le choix de rejoindre les Bravours, les Instincts ou les Mystics. Oui j’ai bien dit « Mystics » !… Mais le mot a fait peur aux traducteurs français qui ne laisse plus le choix qu’aux instinctifs, aux courageux, et à la sagesse (sagesse qui devient alors bien technique et rationnelle, alors qu’ il pourrait s’agir d’une sagesse mystique qui est une bien plus large connaissance).

Dans ce jeu (comme dans d’autres), c’est comme si notre société recyclait ces mythes, ces histoires à raconter à ses enfants. Alors tant qu’à jouer à des jeux devant des écrans, pour une fois, apprécions que la jeunesse sorte de sa chambre, court à travers le monde réel, à la recherche des esprits de la nature ; pour coopérer avec les siens, et tenter de faire avancer dans ce monde la valeur dans laquelle elle c’est reconnue.

Plus tard, il sera peut être intéressant d’observer les autres nouveautés à venir qu’offrira la « réalité augmentée » qui surajoute de plus en plus d’informations et d’images à notre monde dit réel. C’est peut être une merveilleuse façon de réapprendre que le monde est plus que ce que l’on voit, nous rappelant ainsi le concept de la maya (illusion) en Inde ou de la grotte de Platon en Grèce.

Bien sûr, notre société, malade de ses écrans, (qui par définition s’interposent, s’intercalent et font litteralement  écran avec la vraie vie, la vraie relation, l’amour, la nature, et le monde), malade de ses médias (qui est un medium, un entre deux, qui ne devrait que jouer le rôle d’intermédiaire …) croit -ou joue encore à se faire croire-  que les mondes subtils et invisibles, la nature, la surnature, ne sont visibles qu’avec les dernières technologies les plus pointues et les plus couteuses.

Et si au contraire… c’était ces objets, ces technologies, cette société du spectacle, qui faisaient écran ? Et si les anciens, les Grecs ou les peuples premiers, les chamans d’aujourd’hui voyaient depuis longtemps tout cela et vivaient certainement plus au sein de ce monde sur-naturel ?

Le chamanisme c’est alors ce réenchantement du monde libéré de la béquille technologique (Ce peut être utile une béquille quand on souffre d’un handicap, mais cela devient au combien inutile et encombrant quand on en à plus besoin !)

Le film « Avatar » de James Cameron, nous avait déjà rappelé la possibilité, comme les peuples indigènes, de nous reconnecter à une nature riche, vivante, belle, sacrée, habitées de couleurs et d’esprits. Encore une fois Avatar était tombé dans le « technotisme » (si on peut appeler ainsi le culte immodéré de la technologie) en montrant que pour se connecter aux animaux de Pandora, à la nature ou à  l’immense Arbre-des-Ämes, nous avions besoin d’un câble ! (Comme une vulgaire rallonge ou un cable usb d’ordinateur.… image naïve et risible pour qui a déjà été en relation avec la nature, les animaux ou les arbres de façon chamanique).

Mais les indigènes de la planète nature d’Avatar, eux, pouvait se dire en face « Je te vois ! » (sans tous nos artifices et notre technologie bien limitée et encombrante pour cela !). Un « je te vois » qui nous parle de la reconnaissance de l’être profond, du Soi, de l’âme, et peut être, comme dans les Upanishad, un « je te vois » qui serait comme un « Tat Vam Assi » : « Tu es cela ! ». je reconnais que tu es cela , tout cela, et plus encore, enfant du grand tout, des étoiles, esprit dans la matière (cf Ghost in the shell), microcosme au sein du macrocosme, que tu es un autre moi même…

Et combien d’enfants, d’adolescents, d’adultes peuvent ou pourront dire bientôt devant un autre humain, devant un lac, un arbre, une fort, même en ville : « Je te vois ! » ?

Eric Sunfox Marchal, 2016
www.eric-marchal.com