Présence, à soi et au monde

Illustration : Encre de Cécile Maldera

Edito : « présence, à soi et au monde »

Le fait d’être invité à organiser un stage de Chamanisme et Yoga chez mes amis du « Centre Présence (en Ardeche)» est une bonne occasion pour moi, de m’interroger sur leur devise : « Présence, à soi et au monde ».
Je relie cette interrogation à une question que l’on me pose souvent, sous différentes formes, qui pourrait se résumer ainsi : « quand j’ai une vision, est ce dans ma tête (a soi), ou est ce réel, devant moi ? (au monde) »

Dans un premier temps on peut en effet imaginer que le Chamanisme est une exploration de plus en plus fine du monde extérieur (la nature, les esprits, le monde invisible,etc … ). Ce qui irait dans la direction opposée d’autres traditions ou techniques comme le Yoga, le Tantra, la Méditation ou la Psychanalyse qui elles vont tourner leur attention vers l’intérieur.

A penser ainsi, nous trébuchons bien vite sur une première pierre d’achoppement : le fait que le monde extérieur est perçu par nos sens, à l’intérieur de nous (avec tous les aprioris et les limites que cela impose). Il est donc bien vite, comme en physique quantique, quasiment impossible de faire la part entre l’observateur et le monde observé.

Ma conscience du monde, de ma vie et de toute chose, se construit donc grâce à mes sens, que je sais ô combien trompeurs (comme dans la grotte de Platon, ou la Maya Hindou).

Par ailleurs, nous savons tous aussi aujourd’hui que la part consciente n’est que la partie émergée de l’iceberg et que l’inconscient, en dessous de la surface, veille et agit pour une grande partie. Maintenant, ajoutons à cela la part d’inconscient qui dépasse très largement notre propre inconscient individuel ; l’inconscient collectif cher à Jung, et nous ne sommes plus qu’à un pas de la « noosphère » (*).

Les chamanes, dans leurs folies, font encore un pas de plus dans le vide et baignent dans un univers où les consciences, l’agrégation de l’ensemble des consciences, ne sont pas seulement humaines, où le temps n’est pas linéaire, et où les frontières sont floues et perméables. On imagine mieux du coups dans quelle soupe cosmique incroyable ils se meuvent. Complexité qui n’a d’égale peut être que la poésie de la pointe de la science actuelle ; à savoir, la théorie des supers cordes et son corolaire de cohortes de mondes parallèles superposées.

Mais comme pour moi Chamanisme rime invariablement avec pragmatisme, je ne peut me satisfaire de ce savoir, ou pire encore, de cette croyance. Je ne peux toujours pas répondre à la question de savoir si ma vision est réelle, devant moi, ou si elle est le fruit de mon imagination en moi; si j’ai perçu quelque chose émanant de moi, ou du monde extérieur.

Alors, le plus humblement possible, loin de toute conceptualisation, j’ai besoin d’expérimenter. J’ai besoin de voir ce qui ce passe pour moi, en essayant et cheminant sur cette voie, ce que cela change et m’apporte « réellement » dans ma vie. Par chance, le Chamanisme me donne de merveilleux outils pour cela ; à savoir les Etats de Conscience Non Ordinaires. Le fait de plonger dans ces états, de passer de l’un à l’autre, m’a déjà permis de faire le deuil de croire à une vérité unique et simplificatrice qui ne demande qu’a être découverte. En effet ce que je perçois comme réalité dépend tellement de l’état dans lequel je me trouve ! Comme s’il ne s’agissait plus d’une réalité à découvrir, mais d’une infinité de réalités à parcourir. C’est donc l’idée même de « réalité » qui en prend un coup ! Aussi, je choisi d’adjoindre l’adjectif « réel » à tout ce qui fonctionne; tout ce qui influe, tout ce qui agit : « réalité agissante »

Ainsi, oui, l’animal totémique qui se présente à moi, dans cet état de transe où je suis plongé, est réel, parce qu’il va agir réellement sur ma vie, m’en faire changer les paradigmes, m’enseigner, m’apprendre, me soutenir, me conseiller et me permettre de m’épanouir … et je l’en remercie.

De là, la question de savoir dans quelle direction j’ai tourné mon regard initialement (vers moi à l’intérieur, ou vers le monde à l’extérieur) a-t-elle encore de l’importance ? Quel sens peut encore avoir cette question, quand nous arrivons à certains points où la conscience du « je » se baigne et se dissout dans une conscience sans limite, dans le « tout » ? Ne pas donner de solution à cette question, plutôt juste la dépasser !
Il en est ainsi dans ces lieux où la goute d’eau, retourne à l’ « océan de sagesse », où l’extase du mystique le fait tutoyer Dieu, où « je » est dévoré par le « grand aigle cosmique », …

Comme depuis une sorte de pôle nord de la conscience où quelque soit la direction où je porte mon regard, on dirait le sud …

Eric Marchal
Janvier 2009
www.eric-marchal.com

« L ‘apparence pour moi, c’est la réalité agissante et vivante elle-même qui, dans sa façon de s’ironiser elle-même, va jusqu’à me faire sentir qu’il n’y a là qu’apparence, feu follet et danses des elfes, et rien de plus » …F.W. Nietzsche

(*) Noosphère : concept forgé par Pierre Teilhard de Chardin, qui serait le lieu de l’agrégation de l’ensemble des pensées, des consciences et des idées produites par l’humanité à chaque instant.